Cloches de Pâques

Voyage de cloches

Certains disent que les cloches reviennent de voyage à Pâques, voici l’histoire des cloches de Pâques du château de Selles-sur-Cher :

Il était une fois un mouvement d’horloge et ses trois cloches qui avaient quitté leur château de Selles-sur-Cher pour entreprendre un voyage. Depuis plus de 280 ans passés au porche d’entrée de la cour d’honneur, ces amis avaient comme une envie de se dégourdir les rouages, surtout que le silence régnait depuis plusieurs dizaines d’années. Un jour, un campanologue qui passait par là les invitèrent tous dans son atelier.

C’était un amoureux des clochers et des horloges, mais la notre n’avait pas de cadran. Les heures étaient cependant sonnées, avec ce mouvement particulier, par trois timbres qui indiquaient la marche du temps. Après leur presque trois siècles d’histoire, tous étaient rouillés, mais notre artisan s’aperçut que le mouvement était complet, et qu’un bon nettoyage permettrait à nouveau d’indiquer les heures.

La grosse cloche avant son départ

Le retour

C’est ainsi qu’il y a quelque temps, les trois cloches sont revenues au château, pour reprendre leur place dans le campanile rénové.

La plus grosse de ces cloches est particulière, elle est en airain, et elle porte sur elle son acte de naissance.  Elle sonne le LA, très probablement toutes les heures. Elle ne comporte pas de langue car elle est sonnée par un marteau. Son diamètre est de 55 cm, sa hauteur de 40 cm. Quand à son acte de naissance, elle est recouverte d’une inscription en latin sur 4 lignes :

VIR IVRIS PERTIA MAGNVS PROBITATE MAIOR RELLIGIONE MAXIMVS

SELLENSIS MVNIFCENTISSIMVS AQVENSIS SENATUS PRAESES SVPREMVS EIVSDEM QUE PROVINCIAE

PRAEFECTVS ET PROREX OPTIME MERITVS REGI A SECRETIORIBVS CONSILI IS IPSIQVE AC PROCERIBVS

IVRE MERITO ACCEPTISSIMUS PAVPERUM PARENS POPVLI  DELICIAE FIERIME VOLVIT ANNOSALV

IS 1734

La cloche nettoyée
La cloche nettoyée, l’autre face

Notre campanologue a bien-entendu recherché la signification de ces lignes. En voici deux interprétations :

Première version : Mme GILLETTE de l’école des Chartres, « Cette inscription sur la cloche fait le plus grand éloge du fils de Pierre Cardin le Bret. On ne donne pas son prénom, c’est curieux. Il a été premier président au parlement de Provence en 1704, a exercé des pouvoirs militaires importants, a fait preuve de beaucoup de générosité et fut très aimé. Il est mort en 1734, occasion de la confection de cette cloche. En 1727 il est comte de Selles (sur Cher) ».

Seconde version : Père VERNET du collège des Bernardins,

première ligne, « Un homme, grand par sa connaissance (lire : PERITIA ?) du droit, plus grand par sa probité, le plus grand par sa religion »

deuxième et troisième ligne, « Sellois d’une extrême générosité, président du sénat (parlement) d’Aix (? aquensis), et préfet

de cette même province (ou Provence) »

troisième et quatrième ligne « lieutenant du roi (sens exact de PROREX ?) ayant rendu les plus grands services à celui-ci par ses conseils secrets (= comme conseiller particulier) et très apprécié à juste titre du roi lui-même et des grands »

quatrième ligne, « père des pauvres et délices du peuple a voulu qu’on me fasse [c’est la cloche qui parle !] en l’an de grâce (lire : SALUTIS) 1734″.

Deux observations sur ces propositions :

  1. Concernant la première, à cette époque les noms étaient souvent composés, et de plusieurs façons. Par exemple, Pierre Cardin Le Bret est composé avec un véritable prénom au sens chrétien du terme : « Pierre », suivit par un nom de famille, on pourrait dire « de maison » : « Cardin », suivit de « Le Bret ». Il s’agit d’un noble personnage de cette maison, à tel point qu’on lui attribue une lignée. C’est ainsi que son fils qui poursuit avec les mêmes charges se voit attribuer le nom « Cardin II », ce qui signifie « Cardin deuxième du nom ». Dans un tel cas, le véritable prénom peut être absent, car « Cardin II » suffisait à l’époque pour connaître assez précisément de qui il s’agissait. Cardin II était le dernier des trois enfants de Pierre Cardin I et de Marie Françoise Veydeau de Grandmont. Il ne faut pas le confondre avec son frère, « Pierre Cardin Le Bret II » (deuxième du nom), né en janvier 1670, et qui est mort en bas âge à 27 mois. C’est peut-être pour cette raison que Cardin II le Bret ne comporte pas de prénom. Leur père était donc « Pierre Cardin Le Bret », sous-entendu premier du nom, que l’on pourrait écrire « Pierre Cardin Le Bret I ». À cette époque, il était courant que le premier fils né porte le même prénom que son père.
  2. Concernant la seconde, il s’agit de ce que nous appellerions des fautes d’orthographe, dont les copistes et artisans divers n’étaient pas exempts, surtout en latin.

La traduction

En bon français actuel, voici la traduction définitive :

Un homme, grand par sa connaissance du droit, plus grand par sa probité, le plus grand par sa religion, Sellois d’une extrême générosité, président du sénat d’Aix, et préfet de cette même province, Lieutenant du roi ayant rendu les plus grands services à celui-ci par ses conseils particuliers, et très apprécié à juste titre du roi lui-même et des grands, Père des pauvres et délices du peuple, a voulu qu’on me fasse [c’est la cloche qui parle !] en l’an de grâce 1734.

Cette cloche a donc été coulée en mémoire du seigneur des lieux, lors de son décès en 1734. Il s’agit de Cardin II Le Bret, fils de Pierre Cardin Le Bret, né le à Flacourt (78), et mort le à Aix-en-Provence, seigneur de Flacourt, comte de Selles, et parlementaire d’Aix-en-Provence.

Le château de Selles avait été acquis par la famille Le Bret en 1727, vendu par la petite belle fille de Philippe de Béthune, épouse de François-Gaston de Béthune-Chabris dit «marquis de Béthune» qui était donc le petit fils de Philippe. François Gaston est mort en 1692 lors de l’une de ses ambassades en Suède, sa veuve est donc revenue vivre au château de Selles, puis elle l’a vendu à la famille Le Bret.

Les Le Bret étaient très aimés par les Sellois, tout comme par le roi et la cour, et c’est probablement en son bon souvenir que cette cloche fut coulée.

Merci à M. L. Ollivon, campanologue.

Pour aller plus loin : généalogie de la maison Le Bret sur Gallica.